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Construction d’Indicateurs de Bien Etre Soutenable Territorialisé
Contexte et origine du projet IBEST
Une approche du bien-être
L'expérimentation IBEST s’inscrit dans le prolongement d’une réflexion menée localement à partir du rapport Viveret, Reconsidérer la richesse (2001) critiquant les indicateurs classiques de mesure de la richesse (type PIB) et incitant à mieux compter "ce qui compte". Ces analyses ont été particulièrement relayées à l'échelle nationale avec les travaux de la commission Stiglitz (2009) ou de l’INSEE (2012 ou 2013), et internationales dans les publications de l'OCDE (2011). Elles ont également donné lieu à différentes expérimentations à l’échelle locale (Le Roy et Ottaviani, 2015).
Cette réflexion a fait largement écho aux observations des intervenants dans le champ de la politique de la ville : les indicateurs sociaux traditionnels sont centrés sur les difficultés des personnes en termes de chômage, précarité, délinquance... (Clot, H. 2010 ; Baills, O. 2009-2010). Cette posture, qui permet de faire apparaître les disparités socio-spatiales, a des effets pervers bien connus depuis les politiques de zonage : la statistique dresse des rapports stigmatisant certains quartiers, omet une partie -positive- de la réalité, et surenchérit sur une image déjà négative des quartiers (Le Roy et Offredi, 2011).
Un groupe "indicateurs de richesse" - rassemblant des chargés d'observation du Conseil Général, de l'Agence Urbanisme de la Région de Grenoble, de l'Université Pierre Mendès-France, de la ville de Grenoble et de la Communauté d'agglomération Grenoble-Alpes-Métropole - s'est réuni, depuis 2002. Au départ centré sur les quartiers populaires, le groupe de travail a élargi son champ d'observation à l'ensemble du territoire d'agglomération, grâce au soutien financier de l’agglomération, pour tester la faisabilité d’une base de données sociales locales (COSRA, 2010) et tenter de faire progresser cette mesure de la richesse non monétaire ou du bien-être ; ce qui fut au centre d’un premier séminaire "Mesurer la richesse ?", en mai 2011 suivi d'un deuxième consacré aux "constructions et représentations du bien-être", décembre 2013.
Une démarche de recherche-action évolutive
L'enjeu a été, depuis l’origine du projet, de combattre le principe du "lampadaire": on ne cherche ses clés que dans la zone éclairée ou on ne décrit une réalité qu'à partir des données existantes, laissant de côté ce qui ne se compte pas. Dans cette perspective, plusieurs outils ont été testés :
- Des études socio-ethnographiques - baromètre des quartiers - interrogeant les habitants sur la façon dont ils perçoivent et vivent au quotidien le quartier (baromètre de quartiers).
- L'exploitation de bases de données non traitées par l'observation (fichiers des adhérents d'associations, élus...).
- Si ces deux méthodes ont donné des résultats intéressants, qui ont alimenté l'observation politique de la ville, elles ont montré des limites (Ottaviani, 2010) :
- La dimension "monographie" des baromètres des quartiers n'a pas la "force de frappe" d'un chiffre pour peser dans le débat sur la situation des quartiers d’une part ;
- Les bases de données ne parlent que de l'offre existante et ne disent rien sur les personnes. On ne sait pas, par exemple, si ce sont toujours les mêmes qui sont toujours dans les mêmes réseaux d’autre part ;
Enfin, ces démarches ont montré la nécessité de ne pas se concentrer sur les quartiers prioritaires de la politique de la ville pour avoir une vision globale.
De la base de données sociales locales au projet IBEST : Etude des modes d’inscription des individus sur leur territoire de vie
Après exploration des données existantes (statistiques générales ou données de gestion des organismes), le constat a été fait qu'il fallait créer de nouvelles informations pour accéder à cette mesure du bien-être.
L'équipe de recherche a alors proposé de tester la pertinence d’un questionnaire construit à cet effet et centré sur les liens sociaux, l'engagement dans la cité, comme éléments essentiels de la qualité de vie du quotidien. Le test de ce questionnaire, effectué au premier trimestre 2011 sur deux quartiers de l'agglomération : un quartier populaire (Teisseire) et un quartier dit "banal" (Championnet), devait préfigurer la réalisation d’une enquête auprès d’un échantillon de 1000 personnes, âgées de 18 ans et résidant sur le territoire de l’agglomération.
Du point de vue de la production d’informations, ce test a permis de mettre en perspective la "plus-value" qu’une étude "grandeur nature" serait susceptible d’apporter. Parmi ces "plus-values" on peut notamment citer la création d’informations nouvelles, n'existant nulle part ailleurs et/ou pas à l’échelle des quartiers, en lien avec le type de liens informels (diverses formes de solidarité et d’entre aide non organisées et non institutionnalisées, et non conscientes) ou la répartition spatiale des formes de participation (plus ou moins tournées vers l’intérieur ou l’extérieur du territoire…).
Le test ayant été concluant il a été proposé de passer à une enquête en taille réelle dans le cadre d’un projet alors renommé Indicateurs de Bien-Etre Soutenable Territorialisés (IBEST). Ainsi, notre démarche de recherche-action étant par nature évolutive, nous avons été amenés à faire évoluer :
- Le questionnaire afin de l’ajuster en fonction des retours d'enquêtés ;
- La notion d’indicateurs de richesse contemporaine des débats du début de la décennie 2000, vers la notion de bien-être soutenable remise au goût du jour notamment par la commission Stiglitz (Le Roy, A., Ottaviani, F. (2013). Le "bien-être" renvoie à la fois à des notions subjectives, difficilement mesurables, mais aussi à la notion plus quantifiable de ressources mobilisables par un individu pour bien vivre : réseaux et liens sociaux, solidarités de proximité, capacité d'agir, de s'engager. Bien-être "soutenable" ou "durable" parce que l'idée est que le bien-être d'un individu est aussi conditionné par sa capacité à se projeter, à s'appuyer sur des ressources stables dans le temps.
Objectifs & Enjeux du projet IBEST
Lien social, richesse non monétaire et bien être
La richesse non monétaire dépend en grande partie des ressources qu’un individu peut mobiliser, pour son propre compte ou pour le compte d’autrui, du fait de son insertion dans divers réseaux sociaux formels (appartenance à différents collectifs plus ou moins institutionnalisés) et/ou non formels (systèmes de sociabilité). Au-delà de son capital économique, il s’agit donc d’approcher les ressources matérielles (aides financières plus ou moins occasionnelles, services non monétarisés, etc.) et les ressources immatérielles (informations, soutiens, écoute, etc.) et plus largement d'interroger cette notion de bien-être (Ottaviani F., Metz, 2012). Comme l'indique le rapport de l'OCDE, "le bien-être est intrinsèquement lié à une bonne santé, à un environnement sain, à un fort sentiment d’appartenance à la communauté et d’engagement citoyen, un logement agréable et un quartier sûr."
Il s’agit donc de compter "ce qui compte" pour les gens (valeurs, bien-être, qualité de vie...) et non pas seulement ce que la statistique a l’habitude de comptabiliser (Le Roy et Ottaviani, 2011, Metz ; Le Roy et Ottaviani Cist, 2011).
Une étude territorialisée
L’intérêt de cette expérimentation réside dans sa capacité à rendre compte de l’inscription des personnes interrogées dans leur territoire de vie et des ressources qu’ils peuvent y puiser (Le Roy et Ottaviani, Gemdev-Unesco, 2012). Les différents types de méthodes usitées (enquête et démarche participative) ont permis de préciser concrètement les différentes modalités de cette inscription spatiale (formes de solidarité, d'entraide, de participation, d'implication, de sociabilité des habitants de l'agglomération), en fonction de diverses caractéristiques (âge, sexe, CSP...). Des cartographies du territoire permettront à terme de repérer les éventuelles mobilités inter territoires que ces sociabilités génèrent.
Les données d’enquête, dont l’échantillon est stratifié, sont utiles pour repérer les différences entre les territoires, ou secteurs (ensembles de quartiers ou de communes), qui composent l'agglomération grenobloise. Celles-ci s'avèrent essentielles pour avoir une vision globale du bien-être sur le territoire de l'agglomération grenobloise. Adopter un regard comparatif entre, par exemple, territoires urbains, ruraux et péri-urbains, entre quartiers populaires et quartiers "banals", entre centres et périphéries... constitue pour la suite de la recherche une voie féconde.
La première "vague" de questionnaires a été conduite en Novembre 2012, à une échelle agglomération avec, en parallèle, une surexploitation sur trois quartiers d’une des communes de l’agglomération (Eybens) au premier trimestre 2013.
Une étude innovante inscrite dans un projet de territoire :
Le caractère innovant du projet réside à la fois dans :
- Son objet : la réflexion sur la mesure du bien-être interroge de nombreuses collectivités ou organisations comme l’atteste une schématisation de la filiation du projet.
- Sa forme : le choix d’une échelle à la fois globale et locale alors que les autres expériences restent souvent à une échelle régionale, forte dimension participative dans la méthode.
L’enjeu est donc scientifique et politique. Il consiste à penser ensemble les disparités voire les inégalités repérables sur les territoires et la soutenabilité des niveaux de vie, les notions d’équité territoriale et de "bien-être social comparé". Autrement dit, a été question de repérer si la façon dont les individus utilisent les ressources à leur disposition (social, relationnel, services publics, aménités urbaines...) est à la fois durable (stable, solide, peu dépendant de paramètres non maîtrisés) et profitable ou non pour le territoire (rapport individuel/collectif).
Ainsi, le projet IBEST se place d'entrée de jeu dans le double champ de la recherche et de l'appui aux politiques publiques, à une échelle à la fois d'agglomération mais aussi infra communale, afin de mieux cerner les réalités et fonctionnements sociaux (objectif de connaissance) pour ajuster l'intervention publique aux besoins (objectif d’aide au pilotage). Cela fut au cœur du séminaire du 3 juillet 2012 regroupant élus et chercheurs autour de la question de "l’évaluation du bien-être. Défis méthodologiques et politiques innovantes" ; mais aussi d’une communication présentée au congrès de l’ACFAS, "Les indicateurs alternatifs à l’interface des demandes politiques et sociétales : participation, échelle de gouvernance et pouvoirs" à Québec mai 2013.
Le lien aux politiques publiques est permanent et se fait concrètement autour d'un questionnement du type : les stratégies personnelles ont-elles ou non des retombées positives pour leur environnement social et urbain ? Dépendent-elles ou non de l'action publique ? Réciproquement, l'action publique peut-elle s'appuyer sur des dynamiques informelles existantes ? … Ainsi, pour Grenoble Alpes Métropole, plusieurs compétences ou champs politiques d'intervention sont concernés :
- la participation des habitants : remise à plat des types d'engagements des habitants, leurs réseaux, leurs modes de sociabilité et les raisons qui les poussent à s'engager.
- l'économie sociale et solidaire : interrogation des formes d'engagement "classiques" (de type associatif) et informels renvoyant à la question des critères de "l'utilité sociale" de ces formes institutionnelles.
- la politique de la ville : repérage des richesses non révélées dans les quartiers notamment populaires.
- la dimension prospective : identification des besoins non couverts, ceux susceptibles de rendre la vie/la ville plus agréable, meilleure.
- le développement durable: notion qui sous-tend, d’un triple point de vue scientifique, méthodologique et éthique, la démarche de construction d’indicateurs exprimant les dimensions d’un « bien-être » soutenable à l’échelle des territoires de la ville
Descriptif global du projet IBEST
Un Pilotage scientifique et technique : une plateforme pluridisciplinaire, un soutien des collectivités et un financement régional
La construction d’indicateurs de bien être soutenable représente un pari fort tant au niveau méthodologique, scientifique que politique. A ce titre le projet d’étude est financé par la région Rhône Alpes et propose d’associer plusieurs compétences :
- des compétences scientifiques plurielles (économie/sociologie/science de l’urbain et politique publique) constituant une plate forme pluridisciplinaire de réflexion permanente venant nourrir et soutenir la créativité méthodologique.
- des compétences pluri-professionnelles (professionnels des collectivités territoriales, du secteur associatif, élus et citoyens) alimentant la réflexion collective sur les dimensions du bien-être et leur représentation.
Dans cette perspective, un comité de pilotage du projet rassemblant les principaux universitaires concernés et les élus des collectivités parties-prenantes a été constitué et se réunit régulièrement (cf. Compte rendu 16/12/2011, 1/03/2012). Parallèlement un comité technique réunissant les professionnels de la ville participent à cette réflexion collective.
La maîtrise d'œuvre : Un portage universitaire
Ce qui prévaut dans cette étude est le rassemblement de compétences plurielles et le croisement des regards.
L'UPMF, pilote du dossier : Claudine Offredi du Centre d’Economie de Grenoble (CREG) en relation avec les deux départements de l’UMR PACTE – PACTE/Territoires et PACTE/Politiques et organisations regroupés dans une plateforme pluridisciplinaire (urbanistes, sociologues, politiste).
La Métropole de l’agglomération de Grenoble est donc terrain d'expérimentation, en cela garant d'une observation utile à l'action. L'enjeu des universitaires n'est pas de produire de la connaissance "pour la connaissance", mais de nourrir le diagnostic du territoire pour aider au pilotage des politiques publiques.
La Région Rhône Alpes, par l’intermédiaire de son Contrat Développement Durable - CDDRA, est devenu le financeur du projet expérimental IBEST.
Deux méthodologie articulées pour créer des indicateurs de bien-être soutenable
1. Une méthode d’enquête quantitative par questionnaire à l'échelle de l'agglomération. L'enquête est conduite avec un institut de sondage (IPSOS, clauses techniques, réglement de la consultation) pour garantir la robustesse méthodologique et la pérennité du processus. Le premier jet d'enquête, fin 2012, portera sur un échantillonnage raisonné de 1001 habitants de l'agglomération. Début 2013, un sur-échantillonnage est effectué sur trois quartiers d’une commune de l’agglomération, Eybens. L’exploitation des données par les universitaires s'est déroulée durant l'année 2013 et a débouché sur la rédaction d'un rapport intermédiaire et d'une synthèse. Elle a également nourri un article de recherche collectif (Fargeon, Le Quéau, Le Roy, Offredi et Ottaviani, 2014).
2. Une méthodologie participative en trois étapes
La première étape correspond à la mobilisation de la méthodologie Spiral, développée par le Conseil de l’Europe. Cette méthode qui vise à faire émerger, dans le cadre de la constitution de groupe homogène volontaire, une définition partagée du bien-être dans une perspective de co-responsabilité des acteurs du territoire, a été utilisée dans le cadre de l’expérimentation IBEST pour diffuser la réflexion sur le bien-être.
Une seconde étape a consisté dans la constitution de trois ateliers. Le premier atelier réunissait des citoyens (sur la base d’un tirage au sort des personnes volontaires impliqués dans les groupes homogènes SPIRAL et du démarchage de personnes à partir des résultats de l’enquête IBEST) qui qui sur la base des résultats intermédiaire de l’enquête quantitative IBEST a produit un avis. En parallèle, les résultats de l’enquête ont également travaillés avec les élus dans le cadre du comité de pilotage et les professionnels des politiques publiques dans le cadre du comité technique.
Une troisième étape a été destinée à la mise en place d’un forum hybride réunissant élus, chercheurs, professionnels et citoyens et a servie à mettre au débat cette question du bien-être et d’établir les indicateurs à construire. L'objectif de ce forum a été de permettre l’expression des avis contradictoires autour de ce qui fait bien commun (Offredi et Ottaviani, 2012, SFE Montpellier, Le Roy, Offredi et Ottaviani, 2012, AES).
L’apport de la démarche participative au processus de quantification a été très riche et témoigne du l’importance de la mise au débat public des questions relatives au bien-être, au bien commun et la soutenabilité.
Une hybridation entre les résultats de l'enquête quantitative et la démarche participative
La thèse de doctorat de Fiona Ottaviani (2015) a été le lieu de l’hybridation méthodologique entre le matériau de l’enquête quantitative et la démarche participative. Cette hybridation a permis de :
1) Dépasser une approche du bien-être en termes de satisfaction individuelle pour développer une approche institutionnelle en termes de bien commun (Le Roy, Offredi et Ottaviani, 2015) et de soutenabilité (sociale (Le Roy et Ottaviani, 2016) et environnementale), plus en phase avec l’action publique ;
2) Elaborer un tableau de bord permettant une analyse fine de l’articulation entre les ressources monétaires et les ressources non monétaires, un croisement des données de l’enquête IBEST et de données administratives, un croisement entre les données sur la perception des personnes et les données sur les conditions de vie des personnes ;
3) Proposer des indices dimensionnels, basés sur le tableau de bord, livrant une vue synthétique des dimensions du bien-être soutenable ;
4) Construire un indice dimensionnel reposant sur les indices dimensionnels et permettant le suivi de la situation du territoire de l’agglomération grenobloise à l’échelle des secteurs.
Un rapport final de l’expérimentation a été produit sur la base d’une discussion collective de ces résultats début 2016. Ceux-ci ont ensuite été discutés et présentées à plusieurs occasions et notamment lors de la rencontre du réseau des observatoires de l’agglomération grenobloise (l’Obs’Y) du 2 mai 2016.
Autour du projet IBEST
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