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Soutenance de thèse d'Abdelali Attioui

Soutenance

Le 4 décembre 2014

La politique monétaire dans les modèles économétriques : primat de la théorie sur l'empirie

Jury :
  • M. Jean Pierre ALLEGRET (Rapporteur), Professeur des Universités, Université Paris Ouest Nanterre La Défense
  • Mme Jézabel COUPPEY-SOUBEYRAN (Rapporteur), Maître de Conférences, Habilitée à Diriger les Recherches, Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne
  • M. Guéliffo HOUNTONDJI (Membre), Professeur des Universités, Université Pierre Mendès-France, Grenoble 2
  • M. Rédouane TAOUIL (Directeur de thèse), Professeur des Universités, Université Pierre Mendès-France, Grenoble 2.
Résumé : la place de l'économétrie dans la conception et l'évaluation de la politique monétaire n'a cessé de prendre de l'importance depuis le lancement de la controverse entre les monétaristes et les keynésiens au milieu des années 1960. L’un des rôles principaux de l’économétrie pour la Commission Cowles est de soumettre les hypothèses formulées a priori par la théorie économique à des tests statistiques développés à cet effet. Evaluée à l'aune de ce critère, les études empiriques menées par les monétaristes pour formuler leur règle de politique monétaire ou pour démontrer l’efficacité supérieure de la politique monétaire par rapport à la politique budgétaire sont jugées par les keynésiens de la synthèse comme étant hautement défectueuses. C'est dans le contexte du débat entre les monétaristes et les keynésiens sur l’exogénéité et la causalité de la monnaie sur le revenu que Sims (1972) propose de soumettre les hypothèses d'exogénéité à des tests économétriques directs et précis en s'appuyant sur le concept de causalité de Granger. Suite à sa célèbre critique des modèles structurels de la Commission Cowles, Sims (1980, a, b) propose d’étendre l’analyse de la causalité au sen de Granger à un vecteur comportant en plus de la monnaie et le revenu, le prix et le taux d’intérêt. Toutefois, en dépit de son rôle central pour la politique monétaire, l’économétrie présente plusieurs limites et fait face à de nombreuses critiques, dont on retient les deux plus fondamentales, à savoir le problème de l’identification et la critique de Lucas (1976). Le va-et-vient permanent qui existe entre le développement de l’économétrie et les débats théoriques sur la politique monétaire soulève naturellement la question de la nature des rapports qui existent entre les deux disciplines (Pirotte, 2004). En s’appuyant sur les limites de l’économétrie mises en évidence dans les différents débats sur la politique monétaire, cette thèse s’attache à montrer le primat de la théorie sur l’empirie et que l’économétrie ne peut pas être décisive dans la remise en cause de la théorie. Nous adoptons une démarche basée sur des arguments épistémologiques pour montrer que ces débat 3 dépassent le clivage théorie/empirie et intègrent une différence de vision quant à l’utilité d’un modèle empirique. Le programme de recherche de la Commission Cowles s’est constitué autour d’une articulation particulière de trois éléments fondamentaux. Un référentiel théorique issu de la Théorie Générale de Keynes, un modèle formel s’appuyant sur le relatif consensus autour du schéma IS-LM et des techniques économétriques pour estimer les paramètres de ce modèle. Dans cette perspective, les particularités qui distinguent la version keynésienne du modèle ISLM de sa version classique, les conséquences qui en découlent pour l’étude des canaux de transmission de la politique monétaire vers l’activité économique et l’utilité de l’intervention de l’Etat pour la stabilisation conjoncturelle constituent des éléments clés du débat théorique entre les monétaristes et les keynésiens. C’est la nature et le degré d’interdépendance entre les trois éléments ci-dessus qui sont remis en cause par les monétaristes et les tenants de la modélisation VAR. Alors que les keynésiens établissent une nette distinction entre le modèle théorique et le modèle estimé, pour les monétaristes cette distinction n’est pas claire et ne leur semble pas pertinente. Ces derniers privilégient la capacité prédictive du modèle estimé à partir des données observées. En revanche, les keynésiens insistent sur la cohérence théorique et la portée explicative du modèle théorique. La controverse durant les années 1960 et 1970 sur les méthodes d’estimation directes d’une forme réduite ou à travers un modèle structurel illustre parfaitement l’important désaccord entre les keynésiens et les monétaristes sur la méthode adéquate pour l’estimation des effets de la politique monétaire sur l’activité économique. Les keynésiens préfèrent l'estimation des paramètres dans le cadre d'équations simultanées et insistent sur l'importance de l’a priori théorique pour interpréter les corrélations observées entre les données. Ils conçoivent l’exogénéité comme une forme de restriction imposée sur les paramètres, nécessaire à l’identification de la forme structurelle du modèle. Le concept de G-causalité et les modèles VAR n’intègrent pas la vision de la Commission Cowles sur la simultanéité où il existe une rétroaction instantanée entre deux variables endogènes (Desai, 1981), car la condition d’asymétrie temporelle entre la cause et l'effet qui est à la base de la définition de la G-causalité ne l’autorise pas. De plus, l’indétermination 4 empirique de la causalité dans un VAR, liée au problème de l’équivalence observationnelle (Basmann, 1965), impose l’adoption d’un schéma d’identification sur la base d’a priori théorique pour identifier les chocs de politique monétaire. Ceci constitue un cas extrême du problème de la sous-détermination de la théorie par les données soulevé par la thèse de Duhem-Quine (Duhem, 1906, Quine, 1951). Ainsi, l’évolution de la modélisation VAR conduit à une situation paradoxale où, pour justifier les restrictions d’identification imposées aux innovations contemporaines, Sims se réfère à la notion de chaîne causale introduite par Wold (1954). Par ailleurs, Hoover (2009) note que l’analyse des réponses impulsionnelles dans un VAR fournit un bon exemple de ce que Cartwright (2007) qualifie de ‘’contrefactuel imposteur’’. Le développement des Modèles à Correction d’Erreurs dans la tradition de la London School of Economics (LES) (Hendry, 1995) et des modèles VAR cointégrés (Engle et Granger, 1987) a permis de renouveler l’analyse des propositions monétaristes en mettant en évidence les insuffisances des techniques économétriques traditionnelles (Nelsson et Plosser, 1982). Mais, ces modèles dynamiques se heurtent également au problème de l’identification qui exige le recours à des a priori théoriques. Les liens entre les propositions de cointégration, les notions d’équilibre de long terme et de déséquilibre de court terme sont rarement interprétés dans le cadre d’un modèle théorique rigoureux et complètement spécifié. Or, pour Faust et Leeper (1994), l’identification d’un modèle par l’imposition de contraintes peut s’avérer non fructueuse lorsque la théorie économique ne fournit pas suffisamment de restrictions sur les variables d’intérêt ou n’établit pas de distinction claire entre les dynamiques de court terme et de long terme. Dans le même sens, Faust et Whiteman (1997) relèvent l’absence d’un critère d’arbitrage dans la démarche de la London School of Economics (LES) en présence de conflit entre le principe théorique et l’ajustement aux données, sinon une subordination de la théorie à l’économétrie. Parallèlement au problème de l’identification, la critique de Lucas (1976) constitue la seconde critique fondamentale à laquelle fait face l’utilisation des modèles économétriques pour l’étude de la politique monétaire. Malgré l’absence d’une confirmation empirique concluante (Ericsson, Irons, 1995), cette critique a eu un impact dévastateur sur la recherche en modélisation économétrique s’inscrivant dans la tradition de la Commission Cowles ainsi que 5 sur celle portant sur les modèles VAR. A la suite de cette critique, Lucas (1980, 1986) adopte une nouvelle posture épistémologique considérant le modèle théorique comme une ‘’fiction’’ ou une ‘’imitation’’ de l’économie et non plus comme un ensemble de propositions sur le comportement d’une économie réelle. Il s’oppose à la vision traditionnelle de l’équilibre où celui-ci est réalisé uniquement à long terme et défend l’idée d’une explication du comportement du cycle en termes de discipline de l’équilibre (Lucas, 1977). La préséance de la théorie, qui sous-tend cette critique, a conduit à un renouveau de la politique monétaire dans le cadre du programme de recherche des Nouveaux Classiques. La vulnérabilité de la méthode des VAR à la critique de Lucas a été mise en évidence par Benati et Surico (2009) qui ont établi la supériorité d’un modèle DSGE par rapport à un modèle VAR structurel (SVAR) pour l’évaluation de l’effet d’un changement de règle de politique monétaire. Les modèles DSGE, qui constituent les modèles de base de la théorie de la Nouvelle Synthèse, sont fortement influencés par la méthodologie lucasienne et s’inscrivent dans la continuité des modèles RBC (Taouil, 2011). Benati et Surico estiment que l’utilisation des SVAR ne permet pas toujours de bien identifier un changement de règle de politique monétaire. Cet échec est la conséquence directe des restrictions inter-équations imposées par l’hypothèse des anticipations rationnelles, tel que cela a été initialement soulevé par la critique de Sargent (1979).

Abstract : the purpose of this thesis is to show the primacy of the theory over the empirics and prove that econometrics cannot be decisive to question the theory. For this, we rely on the limits of econometrics highlighted in discussions of monetary policy since the 1960s. We adopt an approach based on epistemological arguments to show that these debates go beyond the cleavage theory/empirics and that they integrate a difference of vision as to the usefulness of an empirical model. The research program of the Cowles Commission was formed around a particular articulation of three fundamental elements: a theoretical repository of Keynes' General Theory, a formal model based on the relative consensus on the IS-LM diagram and econometric techniques to estimate the parameters of this model. It is the nature and the degree of interdependence between these three elements that are contested by the monetarists and supporters of the VAR modeling. While Keynesians make a clear distinction between the theoretical model and the estimated model, this distinction is not clear and does not seem relevant to the monetarists. They focus on the predictive ability of the estimated model from the observed data. In contrast, Keynesians emphasize the theoretical coherence and the explanatory power of the theoretical model. Furthermore, they conceive exogeneity as a necessary form of restriction imposed to the parameters for the identification of the structural form of the model. Sims (1980) criticizes the structural models of the Cowles Commission for including too many theoretical hypotheses empirically untested. He proposes to review the exogeneity assumptions and the presence of causality through direct and specific econometric tests. However, the empirical indeterminacy of causality in a VAR, linked to the problem of observational equivalence (Basmann, 1965), requires the adoption of an identification scheme on the basis of a theoretical a priori to identify the monetary policy shocks. This is an extreme case of the problem of under-determination of theory by data raised by the Duhem-Quine thesis (Duhem 1906, Quine, 1951). Thus, the evolution of the VAR model leads to a paradoxical situation, where Sims refers to the notion of causal chain introduced by Wold 7 (1954) to justify the identification restrictions imposed on contemporary innovations. Furthermore, Hoover (2009) notes that the impulse response analysis in a VAR provides a good example of what Cartwright (2007) calls “counterfactual impostor”. The development of the Error Correction Models in the tradition of the London School of Economics (LSE) (Hendry, 1995) and cointegrated VAR models (Engle and Granger, 1987) has renewed the analysis of monetarist proposals highlighting the shortcomings of traditional econometric techniques (Nelsson and Plosser, 1982). However, these dynamic models also face the problem of identification which requires the use of a theoretical a priori. The links between the proposals for cointégration, the notions of long-term equilibrium and short term disequilibrium are rarely interpreted in the context of a rigorous and fully specified theoretical model. However, according to Faust and Leeper (1994), the identification of a model by imposing constraints may not be fruitful when economic theory does not provide sufficient restrictions on the variables of interest or does not clearly distinguish the short-term and long-term dynamics. In the same way, Faust and Whiteman (1997) note the absence of an arbitration criterion in the approach of the London School of Economics (LSE) apparent in the presence of conflict between the theoretical principle and the adjustment to the data; otherwise subordination of the theory to the econometrics. Alongside the issue of identification, the Lucas critique (1976) is the second fundamental criticism facing the use of econometric models to study the monetary policy. Despite the lack of conclusive empirical evidence (Ericsson, Irons, 1995), this critique has had a devastating impact on research in econometric modeling following the tradition of the Cowles Commission as well as the one of the VAR models. As a result of this criticism, Lucas (1980, 1986) adopts a new epistemological posture considering the theoretical model as a 'fiction' or 'imitation' of the economy and not as a set of proposals on the behavior of a real economy. He opposes the traditional view of the equilibrium where it is performed only in the long term and supports the idea of explaining the behavior of the cycle in terms of discipline of equilibrium (Lucas, 1977). The precedence theory, which underlies this criticism, has led to a renew of the monetary policy within the research program framework of the New Classics. The vulnerability of the VAR methodology to the Lucas critique has been highlighted by Benati and Surico (2009) who demonstrated the superiority of a DSGE model with respect to a structural VAR (SVAR) in evaluating the effect of a change in monetary policy rule. The DSGE models, that constitute the fundamental models of the New Synthesis theory, are strongly influenced by Lucas’ methodology and are a continuity of the RBC models (Taouil, 2011). Benati and Surico consider that the use of SVAR cannot always properly identify a change in monetary policy rule. This failure is a direct consequence of inter-equation restrictions imposed by the rational expectations hypothesis, initially raised by Sargent's critics (1979).
 

Date

Le 4 décembre 2014
Complément date
9h

Localisation

Complément lieu
Salle 110, Bateg

Publié le 19 septembre 2019

Mis à jour le 19 septembre 2019